Les tournages de Perseveranza, qui ont débuté fin mars après presque 2 ans de repérages, d’écriture et de recherches, se sont poursuivis en juin, puis récemment début septembre. La forme choisie pour ce film, la distance avec le lieu de tournage, les quelques difficultés liées à la langue rendent parfois le travail plus long et plus compliqué que ce que j’avais pu imaginer lors de la découverte du lieu en octobre 2021, mais jamais je n’ai regretté de m’être lancée dans cette aventure et d’avoir décidé d’y investir du temps et des moyens.
Partant d’un constat de dégradation d’un environnement exceptionnel, d’une révolte devant l’exacerbation d’un tourisme de masse irrespectueux des habitants et d’un territoire extrêmement fragile, d’une envie de parler encore de sols (après ma série documentaire « Juste devant nous » sur la vie du sol et son importance) , de risques d’érosions, de nécessité d’entretenir des sols vivants, en voulant mettre en image tout cela et sensibiliser sur les dangers du tourisme de masse, j’ai finalement rencontré au fil des séjours des vies, des histoires, des souvenirs … et je me suis attachée à des gens, des familles, des traditions, j’apprends l’italien et j’apprends à vivre avec eux, à partager un peu de leurs vies, de leurs aspirations, de leurs combats parfois.
Et c’est un tout autre film que ce qui était initialement prévu qui va émerger !
Il aura pris sûrement plus de temps que dans la forme classique des documentaires de 52 min, tournés/ montés dans la foulée, il aura été plus énergivore, plus difficile à supporter financièrement, plus difficile à défendre, à écrire, à tourner, à traduire, à vendre peut-être plus tard ?
Mais ce sera, sans aucun doute, pour le moment ma plus belle aventure audiovisuelle, emplie d’émotions, de belles rencontres, de magnifiques moments, et je n’imagine pas une fois les tournages terminés, ne plus retourner là bas, tant une autre histoire s’est écrite aussi, entre moi et ces terres. Et ses habitants. Qui justifie bien tous les efforts consentis pour « faire ma part » de colibris dans leur sauvegarde !
Réalisé en parallèle d’autres activités, c’est un film qui prend son temps. Un temps long d’étude du territoire que je filme, d’écoute, de recherches, lectures d’archives, interviews longues d’historiens qui ne figureront pas dans le film mais qui m’aident à comprendre de quoi je parle, à saisir tous les enjeux de l’agriculture et du tourisme sur ces fragiles terres. Temps de présence aussi avec ceux que j’ai choisis de suivre au fil des saisons dans leur travail : Adeline et Riccardo les vignerons, et Guido et Lorenzo les pêcheurs. Du temps pour saisir leurs rêves, leurs motivations, leurs valeurs, leurs engagements, et essayer de les retranscrire le plus fidèlement possible. Et ô combien ils sont inspirants, et ô combien le titre du film leur rend bien hommage !
Ils sont et expriment tout ce pourquoi je souhaite faire des films, tout ce que je veux montrer, transmettre : ils mettent en oeuvre dans leur quotidien leurs valeurs, ils défendent une certaine vision de la vie, de la société, ils dessinent un monde plus humain, plus juste, un lien plus profond avec la nature, le vivant. Adeline et Riccardo restructurent, restaurent des terrasses de cultures abandonnées, sauvegardent des variétés anciennes, régénèrent des terres, façonnent patiemment et méticuleusement des murs et des terres pour cultiver en bio des vignes, des oliviers et des agrumes.
Guido et sa famille cultivent des vignes, des terres en maraichage, pêchent et transmettent tout cela dans un restaurant où tout est récupéré, local et soigné.
La pêche responsable pratiquée par Guido et Lorenzo est aussi l’occasion pour nous d’en apprendre un peu plus sur les fonds marins aux côtés de Lorenzo qui est biologiste marin … et la richesse des fonds marins dans l’aire marine protégée est énorme ! Forêts de gorgones , posidonie, etc. J’attends avec impatience de pouvoir y plonger !
J’ai déjà évoqué je crois lors de la campagne de financement participatif ma réticence à partager des photos sur les Cinque Terre, à ajouter à la longue liste des images déjà présentes sur internet les miennes, tant je ne veux surtout pas attirer trop l’attention sur cet endroit. Le message du film serait plutôt de cesser la consommation de paysages, le « j’ai fait cet endroit », les poses sur instagram dans les endroits « célèbres », les selfies à la mode, etc.
Je crois que les Cinque Terre sont actuellement les villages les plus photographiés et présents sur les réseaux sociaux … or, derrière les cartes postales, les réels et autres stories pleines de couleurs, vivent des humains, des âmes, qui ont une histoire, des difficultés, des enfants, des rêves, des souhaits, des peurs et des besoins : les 5 villages sont à flanc de colline, dans une zone particulièrement sensible à la fois à l’érosion marine et à la fois aux glissements de terrain. Ils ont besoin, plus que n’importe où, d’une agriculture paysanne, qui maintienne les terrasses de culture, les terres, les paysages façonnés par l’homme au prix d’immenses efforts ! Des visiteurs, oui : mais un tourisme respectueux, curieux, intéressé par leur histoire, leurs productions, leur culture. Pas un tourisme qui passe, photographie, achète des souvenirs venus de Chine dans des boutiques uniformisées, pas un tourisme qui standardise, anéantit, consomme, pollue.
Aussi, je préfère pour ma part limiter mes photos de paysages, et partager plutôt des instants passés aux côtés des familles que je filme.
Quelques images donc du dernier tournage, dans la douceur des lumières de septembre :
D’autres viendront, au fur et à mesure des dérushs qui sont en cours !
Vous pouvez soutenir la réalisation du film et ses derniers tournages qui auront lieu en décembre et janvier en adhérant (prix libre) ou en faisant un don libre (défiscalisé) à notre association Unisterre : https://www.helloasso.com/associations/unisterre. Un immense merci à vous !